Guillaume Calligaro : « Le contact humain est en train de redevenir primordial dans un grand nombre de secteurs »
Spécialiste de l’expérience client, le directeur associé de l’Académie du service Guillaume Calligaro nous livre son regard sur les rapports entre clients et entreprise. Des grands groupes à la start-up, la fluidité entre les différents canaux (chatbot, téléphone, boutique) constitue un avantage décisif…. à condition de ne pas négliger le facteur humain. Entretien.
Qu’est-ce que l’Académie du service ?
Nous sommes un cabinet de conseil et de formation spécialisé en expérience client né il y a vingt ans dans le giron du groupe Accor. Aujourd’hui complètement indépendant à la suite du rachat de l’entreprise par son management, nous avons conservé notre ADN hôtelier (sens du service, attention aux relations humaines) et accompagnons des entreprises de tout secteur qui souhaitent renforcer l’orientation client de leurs équipes.
A ce propos, quels principes appliquez-vous pour améliorer l’expérience client des entreprises qui vous sollicitent ?
Fidèles à nos racines, nous attachons une grande importance aux comportements des populations en contact avec le client, et à leurs managers. De ce point de vue, nous portons une conviction chevillée au corps : la symétrie des attentions. Cela signifie quela qualité du management et des rapports humains au sein de l’entreprise induit généralement la qualité de la relation que les collaborateurs auront avec les clients. Chaque année, nous publions un baromètre de la symétrie des attentions qui mesure la façon dont les collaborateurs et les clients s’estiment traités par les entreprises françaises. Différentes dimensions sont mesurées telles que l’écoute, l’autonomie, l’harmonie entre les canaux humains et les canaux digitaux…
Ce dernier critère rappelle une notion à la mode : l’omni-canalité. Comment la définir ?
L’omni-canalité est la capacité qu’offre une entreprise à ses clients de naviguer avec fluidité d’un canal à l’autre. Concrètement, quand un client entre en relation avec une entreprise pour un achat ou un service après-vente, différents canaux lui sont proposés (boutique, téléphone, digital…). Or, le détenteur d’une box Internet en panne qui téléphone au service client puis passe en boutique s’agace s’il doit répéter à chacun de ses interlocuteurs ce qu’il déjà expliqué au canal précédent. C’est le problème du fonctionnement en silos. A contrario, grâce à l’omni-canalité, un client qui se connecte sur son espace client le matin pour modifier son contrat trouvera en boutique un vendeur au courant de cette opération.
L’omni-canalité est-elle adaptée à toutes les entreprises, y compris aux start-up ?
Pour une start-up qui vient de démarrer avec quelques clients et propose un canal unique d’interaction avec eux, la notion d’omni-canalité est prématurée. Mais ces cas-là sont rares. . Même un pure-player qui vend exclusivement sur Internet doit, à un certain stade de son développement, avoir au moins un service client (téléphone, chat, e-mail) avec une dimension humaine. Dès que le client a plus d’une façon d’interagir avec l’entreprise, la question de l’omni-canalité se pose.
Tous les canaux se valent-ils ?
Pas du tout. Les canaux diffèrent en fonction des coûts induits pour l’entreprise, en fonction de l’appétence des clients à leur égard, et de la nature des demandes clients qu’ils permettent de traiter efficacement. Toute entreprise examine ces critères pour choisir les canaux qu’elle met en place. Un réseau de boutiques coûte par exemple très cher en salaires et en loyer, ce qui explique le développement des services clients téléphoniques depuis 25 ans, puis des canaux digitaux. A côté de la notion de coût, il y aussi l’appétence des clients. Dans certains secteurs d’activité, ils veulent pouvoir échanger avec un humain, voire le rencontrer physiquement.
Enfin, les canaux peuvent traiter efficacement certains types de contacts plus que d’autres. On peut ainsi assurer du SAV ou de l’assistance par téléphone pour expliquer une facture ou réparer une box Internet. Mais en cas de panne matérielle, il faut un canal physique pour que le client puisse déposer son équipement (hardware).
L’omni-canalité a-t-elle fait décoller certaines entreprises ?
Les entreprises déjà anciennes peinent à fusionner des canaux pensés initialement les uns à côté des autres. On retrouve le problème des silos. Elles seront assez vite dépassées par des entreprises digital natives très innovantes qui se situent entre la start-up et la licorne. Je pense aux néobanques comme Revolut ou N26, ces pure-players du digital dotés d’équipes de support client dont l’intégration a été pensée en même temps que l’application. Cela permet au client de tout faire depuis l’application avec son téléphone mobile. Le jour où il ne trouve pas la réponse à un besoin particulier, un chatbot qui connaît l’offre et le profil du client prend le relais. Puis lorsque l’automate touche ses limites, il l’oriente vers un conseiller.
Y a-t-il un canal de contact aujourd’hui négligé ?
Depuis l’essor d’Internet, on a parfois eu tendance à plonger complètement dans le digital en oubliant le facteur humain. Beaucoup d’entreprises dont les bases clients se comptent en millions étaient allées trop loin dans la digitalisation et les politiques visant à éviter les appels au service client ou les visites en boutique pour limiter les coûts associés (un appel à un service client basé en France coûte de 5 à 10 euros selon sa durée) ! Après des retours de bâton des clients, le contact humain est en train de revenir dans un grand nombre de secteurs qui l’avaient délaissé.
En parallèle, je m’étonne que les canaux conversationnels dits asynchrones ne progressent pas plus vite. Ce sont des messageries du type Whatsapp ou Messenger au sein desquelles un client peut poser une question, à toute heure, sans être contraint par les horaires d’ouverture d’une boutique ou d’un service client téléphonique ou des temps d’attente associés à ces canaux.
Des canaux sont-ils en train de tomber en désuétude ?
Dans le domaine de la relation client écrite, les e-mails, les formulaires de contact et autres tchats « à l’ancienne » sont en train de fortement s’étioler, voire de disparaître.
Quel est le canal de demain ?
Aujourd’hui, les grandes entreprises qui gèrent des bases clients très volumiques investissent sur les chatbots (un client qui a un besoin contacte son entreprise en écrivant sur une fenêtre de discussion puis un robot répond) et les voicebots/callbots (le client passe un appel pour émettre une demande pas trop complexe et une voix de synthèse lui répond). La qualité de l’expérience qu’offrent ces outils s’améliore dans un grand nombre de secteurs comme les néobanques. Il faut dire que les progrès de l’Intelligence artificielle rendent la bascule vers l’humain de plus en plus fluide.