Kirae : le jeu vidéo allié du cerveau

Le jeu vidéo est-il le meilleur allié de la recherche d’emploi ? C’est ce que pense la start-up, qui développe les compétences transverses (soft skills) via des mini-jeux. Zoom sur cette belle histoire de reconversion professionnelle avec sa CEO Lisa Ferrer.

Ne dites surtout pas à Lisa Ferrer que son parcours est atypique. Certes, les directrices de médiathèque devenues startupeuses ne courent pas les rues. C’est bien le problème : dans l’hexagone, le marché de l’emploi semble constitué de couches étanches qui ne communiquent pas entre elles et dont on ne saurait sortir. Un tel corporatisme agace Lisa Ferrer, aujourd’hui CEO de la start-up Kirae, dont l’objectif est de développer les compétences « transverses » par les sciences cognitives et… les jeux vidéo. Vous avez dit tranverses ? Sous ce terme, se cachent toutes les compétences telles que la capacité à s’adapter à des imprévus, à passer efficacement d’une tâche à l’autre, ou à comprendre les émotions ressenties autour de soi. Bref, un ensemble de facultés qu’une Intelligence artificielle ne saurait accomplir à la place de l’homme.

Soft skills vs hard skills

En anglais, ces soft skills s’opposent aux très techniques hard skills. Dans une société française qui privilégie les diplômes, la connaissance prend le pas sur la compétence. Résultat : 70% des salariés français ignorent l’existence des soft skills. Et pour cause : on retrouve ces compétences d’un métier et d’un secteur l’autre. Quel que soit le niveau hiérarchique, ces compétences permettent de rebondir sur un marché de l’emploi en perpétuelle mutation. D’où leur intérêt transverse.

C’est au lendemain d’une crise existentielle que la jeune spécialiste de la médiation numérique prend conscience de l’inertie des RH. En 2019, « j’ai vécu un choc violent : un burn-out de six mois. Je ne savais plus quoi faire. J’avais un profil hypermarqué de bibliothécaire et alors que je ne voulais plus travailler dans la fonction publique, les recruteurs des chefs de projet numérique ne se rendaient pas compte de mes compétences. On me voyait avant tout comme une ex-fonctionnaire, un « stigmate » dont on ne se défait pas ! », raconte Lisa Ferrer en souriant.

Née en plein confinement

Joignant l’utile à l’agréable, la future entrepreneure trouve sa résilience professionnelle dans l’aide aux demandeurs d’emploi. Déjà spécialiste de l’utilisation des jeux vidéo comme espaces de développement de la compétence, Lisa Ferrer déménage en Bretagne et échafaude un projet axé sur le travail des compétences transverses. Inspirée de ses observations en médiathèque, le start-up Kirae naît en plein confinement du printemps 2020. « J’avais rencontré beaucoup de gens qui estimaient ne rien savoir faire et ne savaient comment remplir la case « compétences » de leur CV. », observe Lisa.

En première ligne

A la bonne heure ! Avec la crise du Covid, l’utilité sociale des ces personnes en première ligne a enfin été reconnue. Les métiers dits peu qualifiés ont soudain été perçus comme essentiels. Pour autant, ils peinent à faire valoir leurs compétences pour enrichir leur parcours. Heureusement, Kirae entend contribuer à leur estime de soi, préalable à toute réussite professionnelle.

Quand Lisa Ferrer se lance dans la création de Kirae, ses bonnes intentions ne suffisent pas. Novice dans l’entrepreneuriat, elle intègre la structure rennaise 1Kubator pour concrétiser son projet puis fédère une équipe. Une première salariée s’impose dans le rôle d’une développeuse web autrice d’une thèse sur les effets de l’entraînement cognitif. La voici rapidement en charge de l’analyse des soft skills dans le jeu. Peu à peu, l’équipe de Kirae s’étoffe jusqu’à atteindre sept salariés.

Evaluation, formation, valorisation

Concrètement, que propose Kirae ? Un parcours utilisateur qui combine évaluation, formation et valorisation de ses compétences transverses en face d’un manager ou d’un recruteur. Identifier, développer, valoriser par des mini-jeux vidéo faits maison. A rebours des lieux communs, « des méta-analyses montrent que les jeux vidéo, utilisés en quantité raisonnable, ont plutôt des effets positifs sur la concentration, la réactivité, ou l’adaptabilité », soutient Lisa Ferrer. Même le très décrié jeu de tir Call of Duty, mouton noir des médias qui y voient une apologie de la violence, cultive des qualités cognitives telles que la capacité d’analyse (de sa position), la vigilance, la maîtrise de ses émotions et l’entraide.

A raison d’une minute trente maximum, les mini-jeux conçus par le studio de création Kirae font figure d’outils inclusifs. Car si 73% des Français s’avouent adeptes des jeux vidéo, bien peu soupçonnent leur intérêt social.

Lauréate du challenge French IoT, Impact x Technologie de La Poste

Elle endosse d’ailleurs personnellement la responsabilité du game design. En clair, la recherche-développement identifie une soft skill, l’analyse cognitivement puis cherche les mécaniques d’entraînement et d’évaluation qui lui sont associées pour rédiger un scénario de jeu. Cela se traduit par un jeu vidéo associé à un algorithme de scoring.

Entreprises, écoles supérieures et acteurs de la formation ou du handicap grossissent les rangs des clients de Kirae. Les organismes d’insertion comme Pôle emploi, partenaire du challenge French IoT remporté par Kirae, voient leurs bénéficiaires renouer avec la confiance. « Des gens un peu fâchés avec les mécaniques traditionnelles de développement de la compétence nous remercient de faire du jeu vidéo un outil (pour une fois !) valorisant. Ils retrouvent une forme de plaisir à aller travailler leurs compétences par le jeu. », se félicite Lisa Ferrer.

Avec 2024 en ligne de mire, Kirae prépare sa prochaine levée de fonds. Fière du travail accompli, l’équipe de la jeune pousse a une obsession : l’employabilité de ses utilisateurs. Le marché de l’emploi a de commun avec les jeux vidéo qu’on peut y chuter puis se relever. Il n’est jamais trop tard pour essayer encore.