Data centers et environnement sont-ils conciliables ?
Pièce maîtresse dans l’architecture des réseaux, les data centers représentent aussi un véritable casse-tête environnemental. À eux-seuls, ils engloutissent plus de 17% de l’énergie consommée par le secteur numérique (source : négaWatt).
Aux origines du Web, envoyer un mail et ne pas l’imprimer était considéré comme un geste écologique largement encouragé par les amoureux de l’environnement. « Une feuille de papier en moins, c’est autant d’arbres préservés », pensait-on. La réalité est plus complexe : un mail stocké sur un serveur génère dix grammes de CO² chaque année, selon les dirigeants de la start-up Cleanfox, spécialisée dans le nettoyage de boîtes mails.
Multipliez-le par le nombre de mails que vous n’effacez pas, voire que vous ne lisez jamais et cela commence à faire vraiment beaucoup. Surtout si on y ajoute les documents (photos, vidéos, archives…) stockés sur un cloud et la musique écoutée en streaming toute la journée.
Ces volumes considérables de données (1,7 Mo produit toutes les secondes dans le monde, selon le baromètre « Data Never Sleeps ») s’appuient sur les data centers, des unités de stockage parfois gigantesques -le prochain data center d’Interxion, le plus grand d’Europe, s’étendra sur 40 000 m2 à La Courneuve- qui consomment énormément d’électricité pour les alimenter, mais surtout pour les refroidir. Un problème énergétique et écologique qui interroge tous les acteurs du secteur.
>>> Lire aussi : « Sans transition numérique, certains hôpitaux vont disparaître »
« Chaudières numériques »
Peut-on conjuguer le stockage de données et l’environnement ? La réponse est oui, pour Christophe Perron, co-fondateur de Neutral IT : « Si l’on intègre la responsabilité écologique à toutes les étapes du processus, un data center peut être plus vert. Quand on a créé notre offre, nous avons analysé le cycle de vie de la solution. Et notre bilan carbone est totalement neutre. »
La start-up s’est d’abord développée en concevant des « chaudières numériques », c’est-à-dire des serveurs immergés dans un liquide, dont la chaleur est récupérée pour alimenter le réseau d’eau chaude d’un bâtiment. Après avoir installé une dizaine de ces chaudières dans des immeubles résidentiels ou des piscines municipales à Paris, Lyon et Lille, elle s’oriente vers l’offre d’hébergement de sites web grâce à ses serveurs « zéro impact ».
Ce concept de valorisation de la chaleur fatale a aussi été expérimenté par différents acteurs de l’énergie ou du numérique. Locaux d’OVH à Roubaix, piscine de Val d’Europe en région parisienne, quartier résidentiel de Heinrich-der-Löwe à Brunswick (Veolia, en Allemagne) : toutes ces zones ont bénéficié ou bénéficient encore de la valorisation de la chaleur dégagée par un data center proche.
« Ce sont des solutions particulièrement efficaces parce qu’elles peuvent être mises en place localement et entrent dans une logique d’économie circulaire. Ce qui est consommé est réinjecté d’une autre manière afin que rien ne se perde », poursuit Christophe Perron. Dans le cas de Neutral IT, c’est même toute la chaîne industrielle qui s’inscrit dans un cercle vertueux, puisque les serveurs utilisés sont des engins de seconde main.
Immersion de data en eaux glacées
Conscients de leur impact, les géants du numérique tentent aussi de lancer des démarches plus ou moins innovantes. Google alimente ainsi ses infrastructures avec une énergie 100% renouvelable et accorde l’activité de ses serveurs avec les cycles de production solaire ou éolien. Facebook a installé un data center au frais, en Suède, pour se passer de climatisation.
Et Microsoft semble avoir tiré des bénéfices de son projet Natick, immersion d’un data center dans les eaux d’Écosse. « Ces solutions sont toujours bonnes à prendre, même si, en termes d’efficacité, il n’y a aucune valorisation énergétique, juste une réduction de l’impact direct avec moins de climatisation, par exemple. Utiliser des EnR, c’est évidemment mieux que rien. Mais je reste persuadé que la meilleure électricité est celle que l’on n’a pas consommé », analyse Christophe Perron.
Localement, des solutions comme Neutral IT ou les clouds de proximité peuvent fournir des solutions vertes aux collectivités et aux entreprises. Le « free cooling » (réutilisation de l’air extérieur pour rafraîchir les serveurs), l’urbanisation des locaux (avec l’alternance d’allées froides et d’allées chaudes) ou le design écologique des data centers ont permis de gagner quelques degrés (aujourd’hui la température acceptable dans un data center se situe autour de 25°C, contre 20 à 22°C il y a quelques années) et d’optimiser la consommation des centres. Il n’en reste pas moins que nous produisons toujours plus de données.
« L’autre vraie question est là. Je crois en l’hybridation des solutions avec des offres comme la nôtre à côté de grosses structures ultra-sécurisées nécessaires pour certains secteurs sensibles. Mais il faut sans doute amorcer une démarche de sobriété globale de nos usages. Je ne crois pas que la diffusion de vidéos en 8K sur smartphone soit indispensable, par exemple », glisse Christophe Perron.
>>> Aller plus loin : Le colis va-t-il faire sa révolution ?
French IoT – Illustration Shutterstock.com