Vincent Ducrey : « L’IoT français, synonyme de qualité, a une carte à jouer à l’étranger »
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Vincent Ducrey : « L’IoT français, synonyme de qualité, a une carte à jouer à l’étranger »

Les start-up françaises de l’Internet des objets ont bien des atouts à faire valoir hors de leurs frontières, selon le directeur du Hub Institute, Vincent Ducrey.

Pour le blog French IoT, le directeur du Hub Institute, Vincent Ducrey, fait le point sur l’état de santé de l’écosystème français de l’Internet des objets et sa situation sur l’échiquier mondial.

Le secteur, plutôt en forme dans l’Hexagone, ne devrait selon lui pas hésiter à jouer de ses nombreux atouts pour partir à la conquête de marchés à l’international.

French IoT : L’écosystème français de start-up de l’IoT est-il toujours aussi dynamique aujourd’hui qu’il y a cinq ou six ans ?

Vincent Ducrey : Il l’est même davantage. La valeur du marché de l’IoT en France est estimée à dix milliards d’euros, avec un taux de croissance d’environ 15% par an. Si ce chiffre est plutôt faible -en comparaison avec des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Chine-, le cabinet PAC est optimiste quant à l’avenir et prévoit le double de la valeur actuelle d’ici 2020.

De plus, on estime aujourd’hui que près de 73% des chefs d’entreprise sont prêts à investir dans le secteur de l’IoT et des services connectés. De quoi présager un bel avenir pour les start-up françaises.

>>> Lire aussi : IoT et innovation, « la source ne se tarit pas »

Fr.IoT : Quels sont, aujourd’hui, ses principaux points forts et points faibles ?

V.D. : Parmi ses points forts, il y a le savoir-faire de la France en termes de connectivité, l’exposition que la bannière French Tech a offert à l’ensemble de l’écosystème et les dispositifs fiscaux mis en place, tels que  « Jeune Entreprise Innovante » ou le Crédit impôt recherche.

Quant à ses points faibles, il y a notamment la difficulté qu’ont nos start-up à réaliser des levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est un problème de capitaux-risques pas assez élevés et de marché intérieur local (français) faible comparé aux marchés américain ou chinois, sans oublier un marché européen fragmenté.

Fr.IoT : Comment l’explique-t-on ?

V.D. : Les entreprises françaises ont tendance à développer leurs produits d’abord localement pour ne réfléchir à l’international que dans un second temps. Elles possèdent en effet une « culture de la prise de risque » insuffisante par rapport à nos conjoints européens. Il faut accompagner les jeunes entrepreneurs en leur insufflant un « principe d’innovation » plutôt qu’un « principe de précaution ».

La situation évolue cependant : les start-up ont aujourd’hui conscience que démarrer à l’international est une clé pour leur succès et leur business model -ça a été la stratégie de Withings dès le départ-.

De ce point de vue, la pédagogie et le conseil apportés par des acteurs comme Busines France/AFII, le Numa, etc. ont bien joué leur rôle pour aider les start-up à accélérer.

Le problème se situe plus du côté des investisseurs que des start-up. Les pépites françaises se font racheter, du coup, par des groupes étrangers : c’est l’exemple de Withings, rachetée par Nokia en 2016.

Fr.IoT : A-t-on raison de penser que la France fait figure de locomotive sur le marché européen ?

V.D. : L’Europe de l’ouest est la troisième zone la plus dynamique et possède plusieurs leaders en matière d’IoT : l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Londres se distingue d’ailleurs par son investissement massif en faveur des technologies connectées -près de 95 millions d’euros de budget en 2015 dont 47 fournis par l’État britannique-.

Mais la France n’est pas en reste. Depuis plusieurs semestres, elle se positionne en n°2 en Europe dans les levées de fonds, après le Royaume-Uni mais désormais avant l’Allemagne. Le Royaume-Uni arrive premier avec 36% du total des montants levés en Europe et 24% du nombre total d’opérations. La France et l’Allemagne enregistrent chacune 20% des montants et respectivement 19% et 16% des opérations.

On progresse donc, mais cela va être difficile de rattraper l’Angleterre qui a la capacité d’attirer des tours de table largement supérieurs à ceux de la France.

 

« La France est consciente des enjeux économiques

qui se dessinent autour des objets connectés »

Fr.IoT : Cela confirme tout de même le statut de place forte de l’IoT que possède la France. Qu’est ce qui a fait que notre pays a pu -ou su- saisir sa chance ?

V.D. : La dynamique puissante du secteur de l’IoT en France s’explique d’abord par la qualité des ingénieurs -la place des Français dans les prix Abel, « Nobel » des mathématiques en témoigne- et des designers français. C’est du également à un tissu industriel performant pour la sous-traitance de la production électronique et logicielle ou encore les expertises reconnues en analyse de données et en intelligence artificielle.

Ce n’est pas pour rien que Facebook a installé son centre d’intelligence artificielle à Paris. Il existe cependant un problème de fuite des cerveaux : les plus grands talents français sont embauchés par les GAFAS, à l’instar par exemple de Yann LeCun, directeur du centre de l’intelligence artificielle de Facebook ou d’Alexandre Cadain, représentant d’Hyperloop et d’XPrize/Elon Musk en France.

Par ailleurs, les grands groupes français plébiscitent la vitalité des start-up de la French Tech dans ce secteur et s’engagent avec elles pour innover : La Poste (avec son Programme French IoT), Engie (investisseur dans SigFox notamment) ou encore Legrand (investisseur dans Netatmo).

Les grands distributeurs français se sont également engagés depuis 2015 dans la promotion des « Objets connectés de la French Tech », en les référençant dans leurs rayons : Auchan, Boulanger, Carrefour, le Groupe Casino, Darty, la Fnac, Leclerc, Leroy Merlin, Lick, Orange, Système U ou encore Vente Privée.

L’industrie 4.0 peut d’ailleurs être une opportunité de reprendre pied sur le marché de la production électronique grand public et b to b. Mais cela à condition d’accélérer sur la robotisation des usines pour gagner en compétitivité sur le marché mondial, et notamment asiatique. Un point sur lequel l’Allemagne a une longueur d’avance par rapport à la France.

Fr.IoT : Les start-up françaises de l’IoT sont-elles, aujourd’hui, mieux préparées pour s’attaquer à des marchés à l’étranger ?

V.D. : Oui. La France est consciente des enjeux économiques qui se dessinent autour des objets connectés. C’est pourquoi elle a mis en place plusieurs initiatives pour promouvoir ses « talents digitaux » au niveau international.

Il y a l’initiative French Tech, lancée dès novembre 2013 pour soutenir et rendre plus visible la croissance de l’écosystème français de start-up. Il y a encore le programme d’accompagnement French IoT, créé par le groupe La Poste, où l’objectif est de guider une centaine de start-up dans leur passage à l’échelle supérieure et de soutenir pro-activement une quinzaine d’entre elles.

Fr.IoT : Quelle perception les acteurs des marchés américain ou asiatique ont-ils de l’IoT Français ?

V.D. : L’IoT made in France, synonyme de qualité, est indéniablement une carte à jouer à l’étranger, encore plus en Asie où la France bénéficie d’une image de marque très qualitative. Nos compétences et notre savoir-faire historique en matière d’infrastructures réseaux, hérités des grands groupes français, et la qualité des formations d’ingénieur dans le domaine sont internationalement reconnues.

Fr.IoT : Qu’est-ce que l’on peut « envier » aux marchés américain ou asiatique ?

V.D. : La France ne possède pas de géant du Web comme Google, Amazon, WeChat… Ceux-là ont rapidement attaqué différents maillons de la chaine de valeur de l’IoT pour tenter de devenir incontournables dans ce domaine.

Amazon a notamment fait beaucoup de bruit en construisant ses deux objets connectés, Echo et Alexa. Son coup de maître est d’avoir développé sa propre infrastructure pour tous les objets connectés : Amazon Web Services IoT. Cette plateforme a été conçue et dimensionnée pour traiter et consolider des données provenant de milliards d’objets d’univers variés : automobile, industrie, domotique…

Fr.IoT : Le grand public, en France, a-t-il vraiment pris conscience que l’objet connecté pouvait être un levier de croissance économique pour le pays ?

V.D. : Non. L’IoT est loin d’avoir pris une place considérable en France. Si les entreprises sont prêtes à adopter cette nouvelle technologie, il y a encore des efforts à faire du côté des consommateurs.

On estime que seulement 33 % des Français sont équipés d’objets connectés. Un chiffre qui s’explique par leur méfiance vis-à-vis de l’innovation : 60% déclarent être gênés par la collecte des données et leur stockage sur Internet et réclament des garanties en matière de confidentialité des données. Le prix est également un frein à l’achat -52% le trouve excessif-.

Ces deux freins s’expliquent par la non-maturité de ce marché : la montée en puissance des usages à

venir et la meilleure prise en compte de l’importance de la privacy des données augurent en revanche d’une rapide démocratisation de l’IoT.

Propos recueillis par Benjamin Hay – Illustration © sdecoret – Fotolia.com

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