Post-Covid, quel avenir pour l’économie du partage ?
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Post-Covid, quel avenir pour l’économie du partage ?

Distanciation physique, crainte de la contamination, transformation des modes de consommation : la crise de la Covid-19 amène des changements profonds dans nos sociétés. Née avec le numérique et en pleine croissance avant le confinement, l’économie du partage a souffert des restrictions. Elle pourrait pourtant s’affirmer comme un modèle en phase avec les nouvelles aspirations des citoyens.

Économie « du partage », « collaborative » ou « des communs » : le monde des plateformes basées sur l’échange ou le prêt de biens de consommation n’est pas toujours simple à définir. « Ce que l’on place dans le concept de collaboration varie énormément. Selon moi, la majorité des grandes plateformes ne relève pas de l’économie du partage. Airbnb ou Uber, par exemple, ne tiennent pas compte des externalités et utilisent ces solutions dans une logique de profit dirigé uniquement vers eux », explique Michel Bauwens, pionnier du pair-à-pair et expert de l’économie collaborative.

Il y aurait donc différentes économies du partage, avec, dans tous les cas et au-delà des critiques qui peuvent être formulées envers certaines plateformes, un intérêt fondamental : « En soi, le fait de concevoir un outil pour partager des biens sous-utilisés est une bonne chose. Ce qu’il me semble donc important à retenir de cette avancée socio-technique, c’est qu’elle met en valeur l’idée que nos sociétés produisent un énorme gâchis », poursuit-il.

Un principe qui séduisait déjà avant la crise sanitaire du printemps 2020. Une étude du Credoc, datée de 2018, montre qu’un tiers des Français avaient adopté des pratiques collaboratives, tandis que 65% se disait prêts à partager leurs objets.

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Reprise en douceur

Le confinement a brutalement contraint la population à réduire ses échanges physiques. De quoi faire craindre un effondrement d’une économie collaborative fondée -justement- sur la mise en commun des biens. Leader du covoiturage en France avec 18 millions de membres, BlaBlacar a effectivement subi un coup d’arrêt dès le mois de mars : « Contrairement à notre service de bus qui n’avait plus de sens sur cette période, la plateforme de covoiturage n’a pas été fermée. Mais nous avons été dans l’obligation, assez paradoxale, de demander à nos membres de ne plus l’utiliser », rapporte un porte-parole de l’entreprise. Résultat : une activité proche de zéro jusqu’au 11 mai, date du déconfinement.

Du côté de The Babel Community, acteur du coworking et du coliving à Marseille et à Montpellier, le constat est moins dur, même si l’activité coworking a été affectée par la crise avec une baisse de dix points. « On n’a enregistré aucun départ dans nos appartements en coliving, où le taux de remplissage est resté autour de 97%. La baisse du coworking a, quant à elle, été progressivement rattrapée depuis le début du déconfinement », précise Anays Lauby chargée de communication et de marketing pour The Babel Community.

Dans les résidences, le gros du travail a surtout consisté à mettre en place des procédures rassurantes pour les clients (circulation à sens unique dans les couloirs, réinvestissement de certains espaces en salles de coworking « nomade ») et à réfléchir à l’après. « La crise a prouvé à beaucoup d’entreprises que le télétravail n’était pas synonyme d’inefficacité. Pour nous, elle a aussi montré qu’il fallait créer des synergies plus étroites entre coliving et coworking », poursuit-elle. Depuis quelques semaines, The Babel community propose ainsi une offre couplée, afin de répondre à une demande croissante de clients désireux de pouvoir louer un bureau en plus de leur appartement.

Car, dans cette économie fondée sur l’agilité, la capacité de rebond reste importante. Chez BlaBlaCar, la reprise est même plutôt encourageante : « Dans le secteur du covoiturage, on s’appuie sur un réseau organique ce qui fait que notre service s’adapte automatiquement aux dimensions de la demande et que le redémarrage est rapide », explique-t-on du côté de l’entreprise.

Les mesures comme la fonctionnalité « un seul à l’arrière » (qui permet de garantir qu’il n’y aura qu’un seul passager dans le véhicule) semblent avoir rassuré des covoitureurs sensibles aux bénéfices d’un mode de transport où le nombre de contacts restent limités par rapport à une rame de métro ou une ligne de bus.

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« Un besoin de retrouver du lien plus fort que la peur de la contamination »

Reste à savoir si, sur le long terme, la distanciation n’aura pas un effet néfaste ? Michel Bauwens ne le croit pas : « Quand on nous oblige à nous séparer, le désir d’aller au-delà de cette séparation grandit aussitôt. Il y a un besoin d’alternative, une remise en cause de nos modes de vie à laquelle les plateformes numériques proposent des solutions. Si une partie des gens changent de comportement, même les modèles dominants vont devoir s’adapter. » Un avis partagé par Anays Lauby : « Notre philosophie est fondée sur le partage, la convivialité et le vivre ensemble. Depuis le 11 mai, on constate tous les jours que ce besoin de retrouver du lien est bien plus puissant que la peur de la contamination. »

Au plus fort de la crise, l’exemple de la relation entre « makers » et hôpitaux de Paris autour de la conception de pièces médicales manquantes illustre peut-être le principe d’une future collaboration public/commun. Dans les entreprises, un tel contexte amène aussi son lot d’innovations pour s’adapter aux futures aspirations des citoyens.

Les équipes de BlaBlaCar ont ainsi développé, en plein confinement et en seulement 48 heures, une application d’entraide entre voisins « BlaBlaHelp ». Chez The Babel community, les procédures se digitalisent et les offres de coworking s’adaptent de plus en plus à une demande à la carte. Signe, peut-être, que la coopération a encore de beaux jours devant elle.

French IoT – Illustration Shutterstock.com

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