A Lille, le Cluster IoT rapproche mondes « réel » et « virtuel »
Décryptage

A Lille, le Cluster IoT rapproche mondes « réel » et « virtuel »

Du côté de Lille, le Cluster CITC, qui a été la première structure en France dédiée à l’IoT, accompagne des projets innovants sur son territoire, de la ville intelligente à la santé. Où l’on croit dur comme fer, entre autres, à l’optimisation des filières traditionnelles par les nouvelles technologies.

La structure a été lancée dès 2009. Une époque où l’on ne parlait pas encore -ou très peu- « d’Internet des objets ». A Lille, l’un des carrefours de l’Europe, dans cette région Hauts-de-France -près de six millions d’habitants-, où les grandes entreprises ne manquent pas. Les possibilités de « cas d’usage », qui permettent de tester en situation « réelle » une nouvelle technologie auprès d’une entreprise ou du grand public, sont donc également nombreuses.

C’est dans ce cadre que le Cluster CITC a été mis en place, à l’initiative de Chekib Gharbi -qui en est toujours le directeur général-, soutenu par les collectivités locales et des acteurs académiques et économiques. Dont « 150 entreprises, ce qui démontrait un vrai enjeu économique pour le territoire », se souvient-il. Objectif : accompagner et sensibiliser les entreprises au « nouveau champ technologique » offert par l’IoT. Celui-là même dont le cabinet IDC prévoit un marché mondial qui dépasserait les 1 000 milliards de dollars en 2022, après une progression de 15,4% entre 2018 et 2019 (à 745 milliards de dollars à la fin de l’année, selon ses prévisions).

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Un contexte plus que prometteur dans lequel le Cluster lillois -qui compte désormais une centaine de membres- ne manque pas d’ambition. Chekib Gharbi en dit plus :

French IoT : Entre incubateurs, « lieux-totems » ou autres « pépinières » de jeunes talents, la France compte aujourd’hui un grand nombre de structures autour des nouvelles technologies. Où se situe le Cluster CITC ?

Chekib Gharbi : Nous nous situons entre le centre de recherche et le cabinet d’ingénierie. Nous préparons et accompagnons les entreprises à se diriger vers l’Internet des Objets, cette nouvelle révolution à la croisée du physique et du digital. Nous développons des formations pour préparer les talents du territoire vers ces technologies et accompagnons la création d’entreprises dans ce secteur. Nous offrons aussi des moyens technologiques aux start-up pour qu’elles développent des objets connectés et innovants.

Nous ne sommes pas un incubateur, nous sommes un Centre de Ressources Technologiques. Nous aidons les start-up et les entreprises à développer leurs prototypes afin de les présenter aux financeurs et investisseurs. Nous accompagnons également l’appropriation sociale de ces technologies dans des cas d’usages différents au travers de nos démonstrateurs dans le domaine du retail, de la logistique, de la santé.

Le Cluster de l’IoT vient d’être labellisé « Digital Innovation Hub » (DIH) au niveau européen sur l’IoT par la Commission Européenne. Cette reconnaissance affirme notre expertise et nos services en faveur des entreprises.

Le Nord, « terreau fertile » pour les cas d’usage

Fr.IoT : A quels secteurs d’activité vous intéressez-vous en particulier ?

C.G. : Nous avons, aujourd’hui, des projets structurants en matière de villes intelligentes, durables et créatives -avec les collectivités-, mais aussi autour de l’industrie du futur, de la robotique, des drones ou encore du handicap.

En ce qui concerne l’industrie, nous disposons de plateformes d’expérimentation où les entreprises peuvent faire des tests -robotique collaborative, traçabilité dans l’industrie- cette solution leur permet de ne pas avoir à bloquer leurs chaînes de production. Avec les territoires, nous accompagnons des projets smart city ou smart grid sur des appels à projets autour de la résidence urbaine, par exemple. Le but étant d’organiser une réflexion avec les acteurs publics pour que l’écosystème se mobilise et propose des solutions.

Si l’idée de départ était d’être à l’intersection entre trois mondes -l’électronique, l’informatique et le computing-, la stratégie a évolué au fil des années avec un recentrage en 2017 autour des Deep Tech (nanotechnologies, nanomatériaux, IoT, IA embarquée…).

Notre vocation n’est pas d’être un acteur qui prépare l’innovation dans dix ans, mais plutôt de regarder quelles solutions peuvent être prêtes dans les trois années à venir et soutenir les entreprises dans leurs orientations.

Fr.IoT : Le Nord était-il destiné à devenir un territoire de pointe sur le numérique ?

C.G. : Certes, nous avons un « terreau » fertile, mais plutôt en tant qu’utilisateur que producteur de technologie. Dans notre région, nous avons des acteurs de la grande distribution qui sont preneurs de cette technologie pour la mise en place dans leurs process de relation client ou la logistique. C’est aussi le cas, pour d’autres usages dans l’agro-alimentaire. Côté production, nous avons des laboratoires hyper-spécialisés en électronique ou informatique. Un écosystème se construit avec des  PME et des start-up.

Notre écosystème IoT s’est développé de manière importante pendant ces dernières années et tend désormais à se stabiliser, tout en restant en mouvement. Il y a, notamment, un effet d’aubaine avec un appel de l’IoT vers l’Intelligence Artificielle. Cette opportunité engendre des services à valeur ajoutée et permet de générer de l’économie pour notre territoire.

Fr.IoT : Votre situation géographique permet-elle des échanges plus étroits avec nos voisins européens ?

C.G. : Oui, nous travaillons sur neuf projets européens avec des Allemands, Espagnols, Italiens, ainsi que sept projets interrégionaux et transfrontaliers avec des Anglais et des Belges. Ces projets concernent l’industrie du futur, le bâtiment et le textile intelligents…

Le fait que nous soyons labellisés DIH européen depuis un an -il y a huit structures en France- nous offre un point d’entrée sur l’Europe, parmi les centres d’expertise technologique qui ont vocation d’accompagner et former les entreprises.

Fr.IoT : Que retenez-vous de dix ans d’activité du Cluster ?

C.G. : De magnifiques rencontres et de la fierté. Je suis fier d’avoir développé un certain nombre de formations spécifiques avec des écoles, comme des masters spécialisés -cybersécurité, ville intelligente…. J’ai su disséminer l’innovation sur nos territoires. Grâce aux démonstrateurs, le CITC a présenté les évolutions de demain dans les secteurs de l’industrie, du retail et de l’habitat. De la fierté également, d’avoir pu maintenir et améliorer la compétitivité des filières traditionnelles et accompagner des start-up dans leur croissance.

« De nombreux bouleversements à venir,

au-delà de l’intelligence artificielle »

Fr.IoT : Comment jugez-vous l’état de santé de l’écosystème IoT français ?

C.G. : Il est foisonnant sur l’ensemble du territoire. Nous disposons d’un certain nombre de leaders Français qui sont des leaders européens sur les télécoms comme Sigfox et des sociétés qui ont développé des objets -qui sont en mode industriel- Withings par exemple. Il y a aussi quelques pépites et quelques licornes qui ont su prendre le pas sur la partie IoT.

Fr.IoT : Les entreprises « traditionnelles » savent-elles désormais s’approprier les technologies IoT ?

C.G. : Les grandes entreprises sont conscientes de l’intérêt, elles doivent cependant identifier les premières étapes et leurs priorités. A nos débuts, nous avons travaillé avec Décathlon, qui est aujourd’hui l’un des plus avancés dans ce domaine. Leroy Merlin s’y intéressait aussi il y a quatre ou cinq ans, son choix s’est porté sur l’habitat. Dans l’industrie, on est encore aux prémices. Certaines entreprises franchissent le pas et intègrent de la technologie IoT pour de la maintenance prédictive ou de la production.

Nous constatons que les entreprises se posent des questions. Notre rôle est de les guider et développer conjointement des prototypes afin qu’elles appréhendent ces technologies.

Fr.IoT : Quels sont les prochains défis du Cluster IoT lillois ?

C.G. : Nous avons encore de nombreux challenge à relever, ne seraient-ce que dans l’environnement -la consommation énergétique des capteurs ou l’économie circulaire autour des objets connectés. Depuis 2009, nous travaillons sur la question avec la mise en place d’ateliers, nous devons revoir la démarche de fabrication et l’impact sanitaire.

Nos regards se portent aussi sur le calcul de haute performance : l’intelligence artificielle embarquée, où l’enjeu est important, technologiquement et scientifiquement. Il s’agira de savoir comment travailler sur la qualité des données remontées par les objets connectés.

L’ordinateur quantique, aussi, ne va plus travailler de la même manière, cela va poser de nouvelles questions et de nouveaux enjeux scientifiques. On ne sera pas seulement sur une révolution des usages au quotidien. Avec Uber, on est dans la simplification d’usage. Demain, il y aura une simplification des technologies qui va modifier la relation que l’on a avec notre environnement. Le bâtiment ne sera pas seulement intelligent, il sera aussi modulaire, configurable, car il sera composé de matériaux particuliers qui embarqueront des éléments électroniques.

De nombreux bouleversements vont arriver, au-delà de l’intelligence artificielle, et le monde évoluera. Demain, l’hybridation entre le réel et le virtuel sera de plus en plus prégnante.

Propos recueillis par Benjamin Hay – Illustration Pixabay.com

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