Les Civic Tech « créent du lien entre population et institutions »
Des applis mobiles aux sites internet, de plus en plus d’outils numériques tentent de rapprocher les citoyens de la prise des décisions qui impactent leur quotidien. Entretien avec François Gombert, fondateur du site Civic Techno, qui en dit plus sur le développement et les enjeux du mouvement Civic Tech, encore récent en France.
La Civic Tech pourrait se définir comme regroupant l’ensemble des outils qui facilitent l’information des citoyens sur les politiques publiques et leur relation avec les autorités qui les mettent en place. Il s’agit d’un mouvement jeune en France, porté par un nombre croissant de start-up. Le champ d’innovations est large : il va de l’appli par laquelle la mairie propose aux habitants de signaler un problème de voirie aux plateformes de consultations citoyennes, à l’échelle nationale, en passant par les budgets « participatifs ». A ne pas confondre avec les « GovTech », dont les outils -basés eux aussi sur les nouvelles technologies- servent à améliorer le travail en interne des administrations.
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Les Civic Tech se développent et ont désormais leur « Observatoire des Civic Tech et de la démocratie numérique », lancé en septembre 2018 par le think-tank « Décider ensemble ». Il a pour objectif d’aider à la progression du secteur, du décryptage de ses enjeux au soutien de ses acteurs.
Sa dernière étude, publiée en début d’année, laissait apparaître que les collectivités territoriales ont ainsi recours, d’abord, à des sites d’information et d’actualité sur leurs actions (82% des répondants, plusieurs choix possibles), à des questionnaires et enquêtes en ligne (57%), à des « outils contributifs de signalement » (site web ou appli mobile, 48%), ou encore à des réseaux sociaux locaux/de voisinage (pour 45% d’entre elles).
Les principaux objectifs visés par ces outils numériques étant entre autres, selon les collectivités répondantes, « d’augmenter le nombre de citoyens participants » à la vie locale, de « renforcer la transparence des décisions publiques » ou de « mieux faire connaître les projets et actions » menés. Pour cela, ce sont « les start-up du numérique ou des Civic Tech » qui sont citées comme partenaires privilégiés, actuels ou à venir.
C’est dans ce contexte que French IoT a voulu en savoir plus auprès de François Gombert, fondateur du site internet Civic Techno en 2016* :
French IoT : A quoi servent les « Civic Tech » ?
François Gombert : Dans le système actuel, nous avons des citoyens qui ne sont pas bien informés et qu’on ne consulte que tous les cinq ou six ans, le temps d’aller voter. Les Civic Tech sont des outils qui permettent de créer du lien entre les citoyens et les institutions. Elles permettent à ces dernières d’envoyer de l’information à la population.
Aujourd’hui, si je ne cherche pas l’information, je ne sais pas ce qui se passe dans mon quartier, dans mon arrondissement ou dans ma ville. Et, à l’inverse, l’administration n’a pas toujours connaissance de mes problèmes quotidiens -un nid de poule ici, une route souvent prise en sens interdit là…- ni des solutions que je pourrais lui proposer.
C’est un ensemble de solutions qui fluidifient les relations entre citoyen et élu ou administration.
Fr.IoT : Quel a été l’élément déclencheur de ce mouvement ?
F.G. : Dans le monde, cela remonte à 2012 et la création en Argentine de democracyOS, l’un des premiers logiciels libres des Civic Tech, par Pia Mancini, une militante politique de gauche. Il a été traduit depuis en de nombreuses langues, dont le français, avec pour but initial de faciliter les consultations citoyennes et de fluidifier la démocratie.
Aux États-Unis, Forbes a publié un article dès 2016 disant que 24% des investissements dans les logiciels de technologie de l’information concernait les Civic Tech. Là-bas, il y a un vrai marché sur ces outils, une vraie dynamique, qui n’est venue que bien plus tard en France.
Fr.IoT : Qu’est-ce que la Civic Tech apporte aux pouvoirs publics ?
F.G. : Cela permet à l’administration d’affiner les politiques publiques, de savoir si les dispositifs qu’elle met en place fonctionnent ou non. C’est ici que se rejoignent Civic Tech et GovTech : si l’administration regroupe toutes les données qu’elle récupère grâce aux outils numériques mis en place, elle va pouvoir mieux piloter ses actions, avec des objectifs plus fins grâce à des échanges réguliers avec ses administrés qui vont améliorer les choses.
C’est en définitive plus qu’une souplesse supplémentaire, c’est une réelle valeur ajoutée, ne serait-ce que parce qu’elle doit permettre une optimisation des coûts des politiques publiques.
« Peu de collectivités disposent de quelqu’un détaché aux Civic Tech »
Fr.IoT : Peut-on parler de « renouveau démocratique » grâce à elles ?
F.G. : J’y ai cru, au départ, mais désormais, il me semble que les Civic Tech ne marchent véritablement qu’à l’échelle d’une ville, d’un département ou d’une région. Au niveau national, par exemple, la consultation sur la loi numérique -qui est une très bonne démarche- a débouché essentiellement sur la participation d’initiés, qui connaissent les amendements, les lobbies… Pour que le citoyen puisse participer, il faut davantage l’informer.
Le niveau local est plus efficace en raison de la proximité territoriale. Lorsque l’on a un problème en bas de chez soi, il est plus facile de s’adresser à l’élu du coin qu’à l’Elysée.
Fr.IoT : Un écosystème français de la CivicTech s’est-il constitué ?
F.G. : Il y a un écho, mais qui a déjà pas mal réduit. Quand j’ai lancé le site, je recevais sans arrêt des demandes de start-up qui se lançaient. Mais avec cent sociétés qui faisaient presque la même chose, le marché étant ce qu’il est, beaucoup sont mortes sur le champ de bataille, faute d’avoir trouvé le bon partenaire, d’avoir levé des fonds ou tout simplement d’avoir eu la bonne idée. Et tous les business models ne sont pas encore au point…
On a encore toutefois énormément d’acteurs qui font des choses très bien, très utiles. Ce qui marche, ce sont surtout les outils qui font de la relation au niveau local, à l’aide d’une appli ou d’un site. Le problème restant de recruter des utilisateurs. Sans volonté politique de dire, par exemple, que la possède une appli dédiée à telle chose, c’est compliqué, même si le service est bon.
Fr.IoT : Que faire pour développer davantage les outils de la Civic Tech ?
F.G. : De la pédagogie en plus, auprès des citoyens comme des administration. Il faudrait aussi savoir les médiatiser, avoir plus de gens qui s’y connaissent et s’en occupent. Aujourd’hui, assez peu de collectivités territoriales disposent d’une personne chargée de tout cela. Et plus elles sont grosses, moins elles ont d’intérêt pour ces choses-là.
Il y a aussi encore des business models à trouver pour les start-up qui voudraient se lancer. L’intérêt des consultations doit en outre être plus et mieux expliqué aux pouvoirs publics, en termes d’ajustement et d’optimisation de leurs politiques. Les Civic Tech ne doivent pas être seulement un outil de communication, sinon ça ne fonctionnera pas. Tout le monde doit évoluer : les administrations comme ceux qui proposent les solutions.
*le portail civictechno.fr recense les informations sur la Civic Tech, explique ses apports, relate les initiatives en la matière et référence les start-up et acteurs du secteur. François Gombert est par ailleurs directeur de la stratégie pour les clients du cabinet MCBG Conseil, spécialisé dans le conseil en communication personnelle, en stratégie d’influence des dirigeants et des personnalités publiques
Propos recueillis par Benjamin Hay – Illustration © Julien Eichinger – Fotolia.com