Toujours « une faible représentativité » des femmes dans la Tech
Décryptage

Toujours « une faible représentativité » des femmes dans la Tech

On ne compte aujourd’hui qu’un tiers de femmes parmi les salariés du secteur numérique en France, où elles sont rares à occuper les postes-clés. Une situation face à laquelle de plus en plus de voix s’élèvent pour rééquilibrer les chances.

Le secteur d’activité économique censé être le plus en phase avec les évolutions de la société doit-il en être la photographie la plus représentative ? La réflexion est ouverte dans la mesure où le secteur français du numérique, qui doit -sans doute plus qu’aucun autre- coller à l’air du temps, ne compte encore que 33% de femmes dans ses effectifs.

C’est ce qui ressort du « dossier de demande de label grande cause nationale 2018 », établit par le collectif Femmes @ Numérique en 2017. Selon lequel « le déficit de femmes dans les métiers de l’informatique est un phénomène socio-historique qui ne cesse de s’aggraver malgré les efforts de la profession, de l’éducation et du monde associatif ». Et pour qui « la révolution numérique est l’occasion unique de gommer cette anomalie ».

En mars dernier, c’est un autre collectif, « Digital Ladies & Allies », qui a remis un « livre blanc » au secrétaire d’Etat chargé du Numérique. Celui-ci propose une série de pistes pour se rapprocher, encore plus, de l’égalité entre hommes et femmes dans le secteur numérique et ses postes-clés.

Vanessa Vincent, experte numérique, fondatrice de STRAT ME UP, Agent Corporate <> StartUp, s’engage au quotidien pour créer des synergies entre les entreprises et les entrepreneurs et les accompagner dans leurs stratégies d’innovation (programmes d’accélération, programmes intrapreneurs, ateliers business model…). Elle également  membre des Digital Ladies & Allies. Elle aspire à « faire bouger les choses pas à pas », « sans être féministe » pour autant. Son expérience lui sert, avec deux congés maternités qui l’ont « impactée professionnellement », mais qui pour autant lui ont permis de se dépasser pour se transformer dans ce nouveau monde du numérique, et d’entreprendre à son tour.

Elle en dit plus sur la présence des femmes dans le milieu des nouvelles technologies et les pistes à suivre pour y atteindre plus d’égalité, des chances comme de la représentation aux plus hauts niveaux. Et pour les aider à ne plus souffrir « du syndrome de l’imposteur », sur un secteur où entre 170 000 et 212 000 postes seront à pourvoir en France d’ici 2022 (France Stratégie/Dares).

French IoT : Quel constat tirez-vous de la présence des femmes dans le numérique ?

Vanessa Vincent : Celui d’une faible représentation, encore aujourd’hui, avec seulement 1/3 de femmes dans le numérique et moins de 10% de start-up fondées par des femmes. Il est urgent de réagir, en commençant dès le plus jeune âge à déconstruire les stéréotypes. On ne peut pas construire l’avenir sans les femmes.

Les origines remontent dès le plus jeune âge, en raison, notamment, d’une problématique d’orientation. Les jeunes filles ne s’autorisaient pas à aller vers des métiers d’ingénieurs dans la mesure où certaines écoles cherchaient davantage à attirer les jeunes garçons et en cause, une image du « Geek ».

Fr.IoT : Le secteur du numérique étant récent, s’est-il pour autant développé avec plus d’égalité hommes-femmes ?

V.V. : En 30 ans, le nombre de femmes ingénieures est passé de 30% à seulement 15%, d’où une pénurie de talents pour avoir une représentativité significative des femmes dans le numérique. De fait, il est complexe de parler d’égalité hommes-femmes, dès lors où il est prioritaire de changer les idées reçues sur les métiers de l’informatique afin que dès le plus jeune âge, les jeunes filles s’autorisent à aller dans ces filières.

Cependant, les actions de tous les collectifs en place permettent une certaine prise de conscience auprès des entreprises qui cherchent à recruter davantage de femmes aux postes de direction, ce qui s’avère être une opportunité à saisir. Quant aux salaires, l’écart semble se réduire.

Fr.IoT : Quel intérêt auraient les femmes à s’orienter davantage vers les métiers de la Tech ?

V.V. : L’ouverture, la passion, l’innovation : parce que c’est un monde qui bouge, qui offre énormément d’opportunités. Les femmes doivent se faire confiance et développer leurs talents. Il est possible d’évoluer très rapidement sur des sujets passionnants, engageants… Et lorsque l’on voit toutes les innovations que permet le numérique, on perçoit que les perspectives de carrière sont immenses dans ce domaine d’avenir.

Fr.IoT : Qu’est-ce que les entreprises du secteur auraient à gagner à recruter ou mettre en avant plus de femmes ?

V.V. : De sortir d’un certain entre-soi. La mixité permet de faire émerger des talents. Les femmes représentent 50% de la population. S’en priver, c’est se priver de 50% de talents ! La présence des femmes apporte une autre vision du monde, une autre façon de travailler et elles sont reconnues pour leur créativité.

« Pourquoi ne pas instaurer une charte de mixité ? »

Fr.IoT : Qu’est ce qui est fait, actuellement, pour qu’il y ait plus de femmes ?

V.V. : Le gouvernement a fait de ce sujet une priorité, et de nombreuses initiatives sont mises en place pour développer une véritable prise de conscience. Des collectifs tels que Femmes du numérique recensent les femmes de ce secteur pour leur apporter de la visibilité et leur permettre de prendre la parole, mais également, notre Do Tank des Digital Ladies & Allies dont je fais partie, présidé par Merete Buljo qui a pour objectif de promouvoir la diversité des talents dans le secteur de la technologie et d’accroître le nombre et la visibilité des femmes dans ce domaine dès le plus jeune âge.

A ce titre, nous avons remis le 6 mars dernier notre Livre Blanc « Mixité et efficacité numérique » au gouvernement pour proposer des actions concrètes pour aller en ce sens.

Fr.IoT : Que faire de plus ?

V.V. : Il faut tout d’abord donner plus de visibilité aux femmes et cela passe par la volonté de les accompagner, comme les initiatives portées par le Groupe La Poste/Docaposte. Instaurer des obligations ou des contraintes pourrait être un accélérateur.

Parler de quotas est terrible, mais il faut trouver le moyen pour que les entreprises soient davantage sensibilisées au recrutement de femmes à niveau de compétences égal. Pourquoi ne pas instaurer une charte mixité et plus largement, diversité et inclusion, avec un suivi effectif des actions concrètes mises en place dans les entreprises ?

Fr.IoT : Y’a-t-il besoin de davantage de success stories de femmes dans le numérique ?

V.V. : Oui, nous devons mettre à l’honneur tous ces parcours de femmes du numérique pour inspirer la jeune génération afin qu’elles s’identifient à des rôles modèles. Plusieurs initiatives sont mises en place, notamment, tous les vendredis sur Twitter, notre DoTank des Digital Ladies & Allies, nous partageons le parcours de femmes inspirantes via le hashtag #FFWomenInTech, initié par Emmanuelle Leneuf, fondatrice du FlashTweet.

Il ne s’agit pas nécessairement d’une femme connue du grand public, mais d’une femme qui nous inspire par ses actions et engagements du quotidien -une CDO, une ingénieure, une femme entrepreneure… Cela permet par ailleurs de faire sortir de l’ombre des modèles de réussite et d’élargir le nombre de talents existants dans ce domaine car la place des femmes se joue aujourd’hui.

Propos recueillis par Benjamin Hay – Illustration © Andrey Popov – Fotolia.com

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