« De la copie, la Chine est passée à l’innovation »
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« De la copie, la Chine est passée à l’innovation »

Le CES Asia, qui s’est tenu mi-juin à Shanghai, a été une nouvelle fois l’occasion de constater la puissance chinoise en matière d’innovation IoT. Spécialiste du marché et auteur du seul rapport complet, en français, sur le salon, Xavier Dalloz en dit plus sur la santé et les perspectives ouvertes à l’Internet des objets chinois.

« L’autre » CES grandit vite. Lancé en 2015 seulement, le CES Asia, qui s’est tenu mi-juin à Shanghai, est déjà le plus grand salon dédié à la high-tech grand public sur le continent asiatique. La Chine, elle, est leader dans le monde sur le secteur, où elle possède environ 35% du marché. La tech chinoise devrait d’ailleurs croître encore de 10% par an sur les cinq prochaines années.

C’est dans ce contexte que Xavier Dalloz s’est rendu au CES Asia 2018. Cet expert en stratégie digitale et fondateur du cabinet Xavier Dalloz Consulting est l’auteur du seul rapport complet sur l’évènement en langue française. Pour French IoT, il fait le point sur l’état de forme et les perspectives qui se présentent pour l’Internet des objets en Chine. Un pays où, selon lui, « on passe de la copie à l’innovation ».

French IoT : Quelques semaines après le CES Asia 2018, quel constat faites-vous de l’avancée du marché de l’IoT en Chine ?

Xavier Dalloz : Rappelons, déjà, que la Chine reste l’usine du monde. C’est là que se fabrique la majorité des produits de consommation. Les Chinois sont donc bien placés pour faire de tous ces objets des objets connectés.

Il y a ensuite une mutation qui s’opère vers de nouveaux modèles économiques et qui est stratégique. L’objectif est très clair : faire passer la création de valeur des équipements vers les services. L’ambition, ce n’est pas de créer un objet mais un cluster d’objets dont les services vont répondre aux besoins exprimés par les consommateurs.

Le service tel qu’on a pu le voir au CES de Shanghai, les Chinois sont en train d’essayer de le matérialiser. Et ils vont le faire très vite, avec des robots. Pas des robots humanoïdes mais des objets qui auront les cinq sens. C’est ça, la suite : des objets capables d’observer, de voir, de nous conseiller, et des services hyper personnalisés.

Les Chinois avaient tendance à copier les technologies existant ailleurs. Désormais, ils font de l’innovation et à une vitesse incroyable. A ce rythme, un jour, on trouvera davantage l’innovation au CES Asia qu’au CES de Las Vegas.

>>> Lire aussi : « L’IoT français, synonyme de qualité, a une carte à jouer à l’international »

Fr.IoT : L’innovation digitale est-elle la nouvelle arme économique de la Chine ?

X.D. : C’est même une arme de guerre. Une entreprise comme Alibaba a un objectif de capitalisation boursière de 5 000 milliards de dollars ! La tech réinvente cette industrie chinoise qui était surtout, jusque-là, une industrie de sous-traitants. Or, désormais, elle devient une industrie qui offre une proposition de valeur.

Donald Trump l’a d’ailleurs parfaitement compris (le président des Etats-Unis a annoncé récemment son intention de faire taxer les importations sur 2 000 milliards de dollars de produits chinois supplémentaires, ndlr). Si cela continue comme ça, les Etats-Unis vont devenir un marché pour les produits technologiques chinois.

Nous, Européens, sommes de grands naïfs, car la Chine ne nous perçoit, justement, que comme un marché où elle va tout faire pour imposer ses normes et ses standards technologiques. Et ils y arriveront avec le connecté parce qu’ils auront tout : les composants, la connectivité et toute l’infrastructure. Nous pourrons y ajouter, éventuellement, quelques services, comme de la traduction en français.

« Français et Chinois ont le même niveau »

Fr.IoT : On allait vous demander si l’explosion de l’IoT chinois ouvrait des perspectives aux start-up françaises…

X.D. : Lorsque je me suis rendu au CES Asia, la Shenzhen Electronics Industries Association est venue me voir. Ses représentants m’ont dit que pour préparer le Shenzhen de demain, on avait créé un « Inno Park ». Un peu comme le Futuroscope, c’est un parc de présentation d’innovations technologiques, où 200 millions de dollars ont déjà été investis.

Ils m’ont demandé si, pour les aider, j’avais quelques start-up françaises à leur conseiller de racheter pas pour collaborer avec, mais pour les intégrer à leur Inno Park. Or ils rachèteront peut-être les ingénieurs ou la technologie de base, mais ce qui va les intéresser surtout, c’est la valeur ajoutée qui pourra être créée en Chine et d’abord à Shenzhen.

C’est un peu un schéma « colonialiste » car dans leur esprit, pour l’instant, nous ne sommes pas assez forts pour eux.

Fr.IoT : Sur quoi les Chinois sont-ils plus forts que les Français ?

X.D. : En réalité nous sommes au même niveau ! Sauf qu’eux ont compris les vrais enjeux et l’importance d’avoir une stratégie. L’enjeu, c’est la Chine de demain. Et pour y arriver, il faut réinventer les matériels, les équipements, les usines… Ils ont une vision à vingt ans et pas seulement jusqu’aux prochaines élections.

La France a tout ce qu’il faut, mais il est urgent de travailler avec les Chinois. Il faut créer une université franco-chinoise, où les étudiants des deux pays vont apprendre à se connaître et à travailler ensemble. Comme on l’a fait avec l’Airbus franco-allemand. L’Europe viendra après, montrons d’abord aux Chinois que l’on existe.

Nous sommes bons voire même excellents au niveau de nos ingénieurs. On a tout ce qu’il fait, on sait tout faire. Tout n’est encore une fois qu’une question de stratégie de conquête et de développement autour de cette innovation.

La Chine, qui réalisait le gros de sa croissance grâce à ses exportations, veut maintenant l’obtenir avec de la consommation intérieure, notamment de services.

Fr.IoT : A quoi va ressembler l’IoT chinois dans dix ans ?

X.D. : Le marché IoT devient, déjà, un marché de services. Dans dix ans, on pourra dire que les Chinois ont compris toute l’importance du phygital, qui associe physique et digital.

Le marché de l’IoT se matérialisera aussi par une réinvention du système financier, notamment du concept de banque. Fini la carte bancaire. Ce sera pareil sur d’autres domaines. La voiture va s’occuper elle-même de son parking, de son assurance… Ce sera ça l’autonomie, qu’elle sache se débrouiller toute seule pour rouler dans les meilleures conditions.

L’avantage qu’ont les Chinois par rapport à nous, c’est qu’ils partent d’une page blanche, avec tout à construire.

Le message qu’il faut faire passer, en France, est de dire que si on ne voit pas plus grand et plus loin que ce que sont capables de proposer les Chinois actuellement, ça ne marchera pas. On n’est plus dans l’ère de la start-up nation, mais dans celle des licornes. Chez eux, c’est ça le but.

Les start-up françaises peuvent donc envisager de se déployer en Chine mais sans y aller seul. Il faut être accompagné d’un écosystème. Là, elles pourront ouvrir un marché car nos start-up savent déjà tout faire.

Propos recueillis par Benjamin Hay – Illustration Pixabay.com

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